Édition du jeudi 16 mai 2019
Le Sénat vote l'interdiction du voile pour les accompagnatrices des sorties scolaires
La question du voile est revenue brusquement dans l’actualité, hier, avec le vote par le Sénat, dans le cadre de l’examen du projet de loi École de la confiance, d’un amendement LR interdisant le port du voile par les accompagnatrices de sorties scolaires. Cet amendement a été voté contre l’avis du ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer.
Il est proposé, dans cet amendement, de modifier l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation, datant de 2004, qui interdit les signes religieux ostentatoires dans « les écoles, les collèges et les lycées publics ». Les sénateurs proposent d’élargir le champ de cette mesure aux « sorties scolaires organisées par ces établissements ».
On se rappelle que cette question du port du voile par des mères de famille accompagnant les sorties scolaires fait débat depuis plusieurs années. Elle a notamment ressurgi en 2013 et, plus récemment, en 2018.
L’avis du Conseil d’État et celui du ministre
C’est le Défenseur des droits qui avait, en 2013, saisi le Conseil d’État pour lui demander de statuer sur cette question, afin plus particulièrement de tenter de donner un contenu juridique solide à la notion de « collaboration occasionnelle ou bénévole au service public », notamment, écrivait alors Dominique Baudis, « dans le cadre des activités périscolaires ». C’est en effet la question de fond : on sait que la neutralité religieuse est imposée aux agents du service public. Mais s’applique-t-elle aussi à leurs « collaborateurs occasionnels » ?
Le Conseil d’État avait rendu un avis qui, finalement, n’a pas apporté tellement plus de clarté. Seule certitude : il n’existe pas entre l’agent des services publics et l’usager des services publics « une troisième catégorie » intermédiaire. Autrement dit, « collaborateur occasionnel des services publics » n’est pas une catégorie juridique. Le Conseil d’État s’était donc contenté de renvoyer la balle aux chefs d’établissement, en jugeant que « les exigences liées au bon fonctionnement du service public peuvent (les) conduire, s’agissant des parents qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses. »
L’année dernière, Jean-Michel Blanquer était revenu sur ces questions en répondant à une question d’un sénateur (lire Maire info du 23 avril 2018), avec une position assez différente de celle du Conseil d’État, puisqu’il avait déclaré à l’époque que « la notion de collaborateur bénévole du service public (…) emporte les mêmes obligations que pour les fonctionnaires et proscrit donc le port du voile ». Cette position avait surpris, puisqu’elle était exactement inverse à l’avis du Conseil d’État, qui disait en 2013 : « L’emploi par de nombreux textes des expressions « collaborateurs occasionnels » ou de leurs synonymes (…) n’entraîne en rien l’application de l’ensemble des sujétions imposées aux agents publics. »
Le Sénat très divisé
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’un certain nombre d’élus – et de parlementaires – estiment que le flou continue de régner sur cette question, et souhaitent qu’une fois pour toutes, la loi éclaircisse le débat. C’est ce qu’a défendu hier, au nom du groupe LR du Sénat, la sénatrice du Val-d’Oise Jacqueline Eustache-Brinio, qui a parlé de « vide juridique », rappelant même que des tribunaux administratifs ont pris, sur cette question, des positions totalement divergentes. Max Brisson, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, a ajouté que l’avis du Conseil d’État, en donnant aux chefs d’établissement la responsabilité de décider, les laisse « dans l’incertitude ». Il a estimé que la doctrine des ministères successifs, en la matière, s’est fondée sur la formule « pas de vagues », ce qui amène à « des accommodements avec la laïcité ».
Jean-Michel Blanquer, devant les sénateurs, a récusé cette expression (« pas de vagues » ) et déclaré que son ministère était « à l’offensive et non sur la défensive ». Néanmoins, il s’est dit « opposé à une interdiction légale » qui « contreviendrait au développement des sorties scolaires ». Jugeant la mesure proposée par les sénateurs « contre-productive », il y a donné un avis défavorable.
Un long débat a ensuite eu lieu entre les sénateurs, globalement tous conscients qu’il existe bien un problème, mais opposés sur la manière de le résoudre. Françoise Gatel (Ille-et-Vilaine) et Françoise Laborde (Haute-Garonne) ont rappelé que les accompagnants scolaires étaient « assurés » par l’Éducation nationale, et à ce titre, « reconnus ». Ce n’est donc « pas aux enseignants de trancher », pour Françoise Gatel. Une autre sénatrice de l’Ille-et-Vilaine, la socialiste Sylvie Robert, a exprimé le point de vue inverse : « Le Conseil d'État a été très clair : les parents ne sont pas soumis à l'obligation de neutralité. Il n'y a pas de vide juridique. » Entre les deux, certains sénateurs ont fait part d’un certain désarroi, se sentant déchirés entre « deux réalités » : d’une part, « un accompagnant est acteur de l’école et doit être tenu à la neutralité » ; mais d’autre part, « dans certains territoires, on ne trouvera plus d’accompagnants pour les sorties scolaires », a plaidé Marie-Noëlle Lienemann (Paris). Comme près de 160 de ses collègues, elle s’est donc abstenue sur cet amendement : « Ce n’est peut-être pas très courageux, mais c’est conforme au principe de réalité ».
L’amendement a finalement été voté par 186 voix contre 100. Il reste à savoir s’il sera retenu par l’Assemblée nationale, ce qui est peu probable vu la position exprimée par le gouvernement. Jean-Michel Blanquer, en tout état de cause, a annoncé qu’il avait saisi « le Conseil supérieur de la laïcité » sur cette question.
Il est proposé, dans cet amendement, de modifier l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation, datant de 2004, qui interdit les signes religieux ostentatoires dans « les écoles, les collèges et les lycées publics ». Les sénateurs proposent d’élargir le champ de cette mesure aux « sorties scolaires organisées par ces établissements ».
On se rappelle que cette question du port du voile par des mères de famille accompagnant les sorties scolaires fait débat depuis plusieurs années. Elle a notamment ressurgi en 2013 et, plus récemment, en 2018.
L’avis du Conseil d’État et celui du ministre
C’est le Défenseur des droits qui avait, en 2013, saisi le Conseil d’État pour lui demander de statuer sur cette question, afin plus particulièrement de tenter de donner un contenu juridique solide à la notion de « collaboration occasionnelle ou bénévole au service public », notamment, écrivait alors Dominique Baudis, « dans le cadre des activités périscolaires ». C’est en effet la question de fond : on sait que la neutralité religieuse est imposée aux agents du service public. Mais s’applique-t-elle aussi à leurs « collaborateurs occasionnels » ?
Le Conseil d’État avait rendu un avis qui, finalement, n’a pas apporté tellement plus de clarté. Seule certitude : il n’existe pas entre l’agent des services publics et l’usager des services publics « une troisième catégorie » intermédiaire. Autrement dit, « collaborateur occasionnel des services publics » n’est pas une catégorie juridique. Le Conseil d’État s’était donc contenté de renvoyer la balle aux chefs d’établissement, en jugeant que « les exigences liées au bon fonctionnement du service public peuvent (les) conduire, s’agissant des parents qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses. »
L’année dernière, Jean-Michel Blanquer était revenu sur ces questions en répondant à une question d’un sénateur (lire Maire info du 23 avril 2018), avec une position assez différente de celle du Conseil d’État, puisqu’il avait déclaré à l’époque que « la notion de collaborateur bénévole du service public (…) emporte les mêmes obligations que pour les fonctionnaires et proscrit donc le port du voile ». Cette position avait surpris, puisqu’elle était exactement inverse à l’avis du Conseil d’État, qui disait en 2013 : « L’emploi par de nombreux textes des expressions « collaborateurs occasionnels » ou de leurs synonymes (…) n’entraîne en rien l’application de l’ensemble des sujétions imposées aux agents publics. »
Le Sénat très divisé
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’un certain nombre d’élus – et de parlementaires – estiment que le flou continue de régner sur cette question, et souhaitent qu’une fois pour toutes, la loi éclaircisse le débat. C’est ce qu’a défendu hier, au nom du groupe LR du Sénat, la sénatrice du Val-d’Oise Jacqueline Eustache-Brinio, qui a parlé de « vide juridique », rappelant même que des tribunaux administratifs ont pris, sur cette question, des positions totalement divergentes. Max Brisson, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, a ajouté que l’avis du Conseil d’État, en donnant aux chefs d’établissement la responsabilité de décider, les laisse « dans l’incertitude ». Il a estimé que la doctrine des ministères successifs, en la matière, s’est fondée sur la formule « pas de vagues », ce qui amène à « des accommodements avec la laïcité ».
Jean-Michel Blanquer, devant les sénateurs, a récusé cette expression (« pas de vagues » ) et déclaré que son ministère était « à l’offensive et non sur la défensive ». Néanmoins, il s’est dit « opposé à une interdiction légale » qui « contreviendrait au développement des sorties scolaires ». Jugeant la mesure proposée par les sénateurs « contre-productive », il y a donné un avis défavorable.
Un long débat a ensuite eu lieu entre les sénateurs, globalement tous conscients qu’il existe bien un problème, mais opposés sur la manière de le résoudre. Françoise Gatel (Ille-et-Vilaine) et Françoise Laborde (Haute-Garonne) ont rappelé que les accompagnants scolaires étaient « assurés » par l’Éducation nationale, et à ce titre, « reconnus ». Ce n’est donc « pas aux enseignants de trancher », pour Françoise Gatel. Une autre sénatrice de l’Ille-et-Vilaine, la socialiste Sylvie Robert, a exprimé le point de vue inverse : « Le Conseil d'État a été très clair : les parents ne sont pas soumis à l'obligation de neutralité. Il n'y a pas de vide juridique. » Entre les deux, certains sénateurs ont fait part d’un certain désarroi, se sentant déchirés entre « deux réalités » : d’une part, « un accompagnant est acteur de l’école et doit être tenu à la neutralité » ; mais d’autre part, « dans certains territoires, on ne trouvera plus d’accompagnants pour les sorties scolaires », a plaidé Marie-Noëlle Lienemann (Paris). Comme près de 160 de ses collègues, elle s’est donc abstenue sur cet amendement : « Ce n’est peut-être pas très courageux, mais c’est conforme au principe de réalité ».
L’amendement a finalement été voté par 186 voix contre 100. Il reste à savoir s’il sera retenu par l’Assemblée nationale, ce qui est peu probable vu la position exprimée par le gouvernement. Jean-Michel Blanquer, en tout état de cause, a annoncé qu’il avait saisi « le Conseil supérieur de la laïcité » sur cette question.
F.L.
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